Hyper-centre : ces sacs qui font déborder le bac

Couv-data

 

Dans l’hyper-centre ville de Bordeaux, véritable lieu d’attraction touristique, les restaurateurs, les commerçants et les habitants jouent des coudes pour jeter leurs poubelles. Et les passants zigzaguent entre les détritus jonchant la voie publique. Triste panorama.

 

Connu pour ses propos lapidaires et ses combats pour une politique soutenue en matière de propreté urbaine, Stéphane Pusateri, président de l’association des riverains et des résidents de Bordeaux, ne mâche pas ses mots sur ce sujet : « Le problème des déchets à Bordeaux est persistant parce que ceux qui sont censés s’y atteler n’y connaissent rien, à commencer par le maire de Bordeaux » lance-t-il, un brin provocateur.

Dans la ligne de mire du représentant associatif : le système de collecte des déchets en porte-à-porte dans l’hyper-centre de Bordeaux, adopté en 2008, est aujourd’hui menacé d’être remplacé par l’ancien système, une collecte des déchets en bacs collectifs. Bordeaux Métropole, compétente en matière de collecte des déchets sur l’agglomération, étudie cette possibilité. Au grand dam de Stéphane Pusatéri : « Quand nous avions des bacs collectifs, les rues étaient devenues de véritables déchetteries.

Des dizaines de conteneurs débordaient. Les commerçants ne prenaient pas de bacs individuels pour éviter de payer des abonnements à des sociétés privées pour leur collecte et se servaient de ces bacs pour y entreposer leurs déchets. On dit souvent que dans le centre-ville de Bordeaux le système des bacs individuels n’est pas adapté parce qu’on a un habitat historique et que les immeubles ne peuvent accueillir des poubelles pour les habitants. Je réponds que Paris a aussi des habitats historiques et que les habitants des immeubles disposent tous d’un bac individuel, le tout tenant parfois dans une entrée d’1m10 ! »

Malgré les arguments de M. Pusateri, la mairie de Bordeaux dénonce surtout un problème de fonctionnement : la collecte en porte-à-porte était censée éviter les déchèteries spontanées sur la voie publique, créées par des amas de déchets dépassant des bornes collectives. Mais aujourd’hui, on assiste à des poubelles individuelles errantes, qui débordent… La situation paraît donc très complexe à régler.

Il faut dire que l’hyper-centre de Bordeaux est confronté à une situation unique dans l’agglomération : alors que cette zone géographiquement restreinte représente un peu moins de 2% des habitants de la métropole, elle concentre près de 10% du volume des déchets es ordures ménagères produits chaque année par ses quelque 750 000 habitants (données 2013). Une situation exceptionnelle sans doute à mettre au compte d’une très dense activité commerciale et de restauration.

Dominique Alcala, vice-président de la Métropole en charge du dossier et maire de Bouliac, en convient : « Nous avions installé des bacs de proximité, collectifs. Mais depuis 2008, nous avons relancé la collecte en porte-à-porte. Pourtant, ce n’est toujours pas satisfaisant », déplore-t-il. « On essaye de proposer une mixité d’offres : bennes individuelles, de tri collectif, bennes collectives d’ordures ménagères. Le problème de ces initiatives-là, c’est leur coût et l’acceptabilité des emplacements des bornes collectives pour l’apport volontaire du verre et des déchets triés. L’installation d’un local de pré-collecte à Bordeaux, qui permet aux habitants de stocker leur container indivuel, c’est 120 000 euros en moyenne. Les campagnes de sensibilisation, elles aussi, coûtent cher. Imaginez tous les circuits et tuyaux qui sont enterrés dans le cours Victor Hugo et qu’on devrait modifier pour réimplanter une borne de collecte du verre ! »

Le problème du recyclage du verre

Le problème des déchets est encore plus saillant concernant les bouteilles de vin, vidées par les amateurs de Bordeaux. La collecte de verre dans les points d’apport volontaire devrait se faire une fois par semaine. Elle permet une valorisation de 100 % de ces déchets. Pourtant, là encore, la collecte n’est pas optimale.

« La métropole a des mérites sur le plan des déchets : elle est troisième en valorisation sur le plan national, souligne Dominique Alcala. Là où elle n’est pas très bonne, c’est dans la collecte du verre. On ramasse chaque année 21 kilos de verre par habitant. On est septième sur le plan national. C’est une problématique compliquée à gérer car certaines personnes ne veulent pas de bornes à verre à proximité.

Normalement il faudrait qu’on installe 300 bornes à verre de plus dans la métropole, pour arriver à l’objectif des 30kg par habitant et par an. Malheureusement ca coûte très cher. »

Résultat : les rares bornes disponibles débordent et encombrent la voirie. L’hyper-centre, si riche en restaurateurs se révèle pauvre en bornes à verre.

Trier plus pour gaspiller plus

Concernant le tri sélectif des déchets dans l’hyper-centre ville, la situation est là encore loin d’être exemplaire. « Aujourd’hui, on constate encore que certains commerçants ont des bacs sous-dimensionnés. Quand on se promène le soir à Saint-Pierre, par exemple, on constate que les bacs des commerçants débordent très largement : ils ne sont pas adaptés à leurs besoins. Ils refusent parfois de payer un abonnement en plus », raconte M. Pusateri qui dénonce un défaut de courage politique. Selon lui, la mairie n’est pas allée au bout de la démarche et s’est laissée déborder par la gestion des déchets des restaurateurs, refusant de les sanctionner.

«Je me suis battu pendant des années pour que l’on en vienne aux prémices d’une politique de la collecte qui soit cohérente par rapport à la réglementation nationale : le principe du pollueur-payeur », explique-t-il. « Théoriquement, les commerçants devaient payer une taxe pour le ramassage de leurs propres déchets. En 2001 ou 2002, un texte est passé pour que les commerçants paient une redevance et qu’ils prennent des abonnements dimensionnés.»

Mais tous les commerçants ne l’ont pas encore fait. Dominique Alacala assure que si aujourd’hui les équipes de nettoyage ne ramassent que ce qui est dans les bacs, « prochainement tous les sacs déposés sur la voie publique seront ramassés ».

Un souci d’esthétique de la voirie qui se fera au détriment de la qualité du tri.

Schizophrénie ordurière

Au-delà du refus de collecte, Bordeaux métropole est pointée du doigt pour sa schizophrénie en terme de ramassage de déchets. Ce sont les éboueurs de la Métropole qui collectent les poubelles, mais ce sont les agents de la Ville de Bordeaux qui nettoient les rues. Or, en pratique, les deux missions se recoupent. Jugé stratégique pour l’image de la ville, le nettoyage de la voirie a été conservé par la municipalité ; allant contre la loi de 1966 sur les communautés urbaines qui en faisait une compétence de la Métropole. L’incohérence de ce système a été dénoncée en 2011 par la Chambre régionale des comptes. Depuis, rien n’a changé. Ou presque.

Alors que le journaliste de Sud-Ouest Denis Lherm, relève un taux de refus de collecte record de 48 % à Saint-Pierre, en 2014, François Elineau, à la direction de la collecte et traitement des déchets à Bordeaux métropole explique : « En 2014 et sur ce quartier de nombreux bacs restaient en permanence sur le trottoir ce qui fait que leur contenu se trouvait souvent pollué et explique ce taux de refus de collecte. Depuis il a été mis en place dans ce quartier une vingtaine de bacs de tri de 770 litres en point fixe et les bacs individuels verts errants ont été supprimés ce qui fait que le taux de refus est maintenant redevenu pratiquement à la normale ». Soit 14 %, selon les chiffres de Bordeaux-métropole. 

Sous ses allures de mauvaise élève, Bordeaux-métropole n’est pourtant pas en reste, face à d’autres grandes métropoles françaises.

La Métropole recherche des solutions

« Globalement, 92% de nos déchets sont valorisés sous forme énergétique, sous forme matière et sous forme biologique. 8% partent en décharge. Ce qui nous place en troisième rang », nuance Dominique Alcala. La Métropole est à la recherche de solutions. « Lors du dernier Conseil on a décidé de faire une une étude qui se basera sur le nombre de fois que vous présentez le bac au camion, afin d’ajuster les besoins en matière de collecte de déchets. Le système est simple : les bennes seront équipées d’une puce. Si lors du passage le camion on ne ramasse pas votre poubelle, vous ne paierai pas.

On appelle cela une « redevance incitative », déjà testée à Besançon. Si en théorie cette redevance incitative doit servir à améliorer le tri et à diminuer la quantité de déchets, en pratique elle sera compliquée à mettre en place. Elle nécessiterait 60 postes supplémentaires. Dans l’hyper-centre, elle sera particulièrement problématique, car il n’y a pas une benne par habitant. La population est constamment en renouvellement, du fait du va-et-vient d’étudiants, par exemple.

« Certains vous diront qu’il suffirait tout simplement de jeter sa poubelle chez le voisin pour ne pas payer », nuance Mr Alcala. Pas si simple.

Selon Stéphane Pusateri, tout semble l’être pourtant. « Il faudrait rester sur le système des bacs individuels que l’on veut aujourd’hui supprimer sous prétexte qu’ils ne fonctionne pas, alors qu’il serait davantage efficace si l’on faisait payer les contrevenants. Il faudrait que le ramassage des poubelles ait lieu le matin et non pas le soir pour que les gens puissent rentrer leurs poubelles le matin, au lieu de les laisser dans les rues, toute la soirée, continue-t-il. Pourquoi ne pas faire appel à des sociétés pour faire sortir et entrer les poubelles ? Vérifier que tout le monde dispose d’une poubelle pour que le système soit efficace ? »

Pour un changement concret, Dominique Alcala explique que la Métropole s’est inscrite dans les Grenelles de l’environnement, 2011-2012. Le but ? Réduire la production de déchets de 7% entre 2016 et 2020. Sur la période 2011-2030, l’augmentation de déchets doit être limitée à 24%, malgré une augmentation de la population de 23%. Tout un défi. Mais qu’en est-il de l’hyper-centre?

« La collecte dans l’hyper-centre pose un problème, c’est un fait » ajoute le vice-président de la Métropole. On va passer à une fréquence de collecte de  »cinq plus un ». C’est à dire cinq passages pour les ordures ménagères et un pour les bacs verts et bornes d’apport volontaire du verre. Au niveau des restaurants, on va faire une étude en 2016 sur la collecte des bio-déchets.… », affirme-t-il, vaguement.

En attendant, toutes ces solutions se heurtent à une réalité : le coût. « Le plus grand frein à tous ces projets, c’est la configuration de Bordeaux. C’est l’engagement eco citoyen des gens. Peut-être ne communiquons-nous pas assez avec eux. Mais surtout Bordeaux-métropole est déficitaire de 5 à 6 millions d’euros… Tous ces projets ont un coût que nous ne pouvons pas toujours payer.»

Sonia Hamdi, Sophia Briganti, Juan-Camilo Palencia, Yann Lagarde

 

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